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Le Paléolithique moyen d’Ounjougou

Une Afrique de l’Ouest à l’écart des recherches sur le Paléolithique

Érosions en draperies qui ont donné leur nom à ce petit ravin. Photo S.Soriano

Érosions en draperies qui ont donné leur nom à ce petit ravin. Photo S. Soriano

Après un regain d’activité dans les années 80, l’Afrique de l’Ouest a été délaissée par les recherches sur le Paléolithique. L’absence totale de référence à cette région dans les débats actuels sur les conditions d’émergence anthropologique et culturelle de l’Homme moderne, et plus largement dans les synthèses sur le Paléolithique moyen / Middle Stone Age en témoigne. Ceci n’est pas étranger aux conditions de préservation des sites pléistocènes dans ces régions, souvent mauvaises, en particulier par l’absence de longues stratigraphies alors que les problématiques sont de plus en plus fortement diachroniques.

Ounjougou, un potentiel exceptionnel pour le Paléolithique ouest africain

Rapidement, il est apparu que l’essentiel des dépôts pouvait être rapporté à la fin du Pléistocène moyen et au Pléistocène supérieur, entre 200.000 et 20.000 ans environ, couvrant globalement l’ensemble du Paléolithique moyen / Middle Stone Age.

Un niveau paléolithique apparaît dans une coupe du ravin des Draperies. Photo S.Soriano.

Un niveau paléolithique apparaît dans une coupe du ravin des Draperies. Photo S. Soriano

Le complexe de sites archéologiques de plein air d’Ounjougou offrait un potentiel exceptionnel pour l’étude du Paléolithique ouest africain : des milliers de mètres de coupes naturelles dégagées dans d’épaisses archives sédimentaires pléistocènes où sont interstratifiés les niveaux archéologiques paléolithiques. Les dépôts, à dominante silto-sableuse, se prêtaient bien à la datation par la méthode OSL. Tous les ingrédients étaient réunis pour construire une chronostratigraphie et une chronologie culturelle, lesquelles font défaut en Afrique de l’Ouest.

Les enjeux scientifiques

Si pour l’Afrique du Nord, l’Afrique australe et orientale, la chronologie du Paléolithique moyen / Middle Stone Age a été éclaircie significativement depuis dix ans, elle était presque inconnue pour l’Afrique sahélienne. Asseoir la chronologie était une première étape pour aborder les dynamiques culturelle et de peuplement de ces régions. Entre un espace saharien où l’Atérien est la figure dominante et les zones forestières d’Afrique centrale, associées au Lupembien, quelle a été l’identité culturelle et la dynamique du peuplement de l’Afrique de l’Ouest sahélienne ?

Une coupe prête pour être relevée. La base de la mire repose sur un niveau paléolithique. Photo S.Soriano

Une coupe prête pour être relevée. La base de la mire repose sur un niveau paléolithique. Photo S. Soriano

Nos objectifs

Sans faune ni restes d’hominidés, lesquels ne sont pas conservés, avec seules les industries lithiques mais avec de longues stratigraphies, à quoi pouvait prétendre une recherche sur le Paléolithique moyen ouest africain ? Notre objectif était chronoculturel : reconstituer la succession stratigraphique des différents groupes culturels paléolithiques dans la région en les individualisant par leurs productions techniques, à savoir leurs industries lithiques. La collaboration d’un géomorphologue (Michel Rasse) et d’une géochronologue (Chantal Tribolo) a permis de reconstruire une chronostratigraphie et de replacer les occupations paléolithiques dans une échelle de temps absolue grâce aux datations des sédiments eux-mêmes par la méthode OSL.

Des résultats inattendus

Le Paléolithique moyen Ounjougou est désormais représenté par près d’une trentaine de niveaux archéologiques stratigraphiquement distincts, principalement entre 80.000 ans et 20.000 ans, avec une concentration particulière au cours du stade isotopique 3 (env. 59.000 / 22.000 ans) où, grâce à des taux de sédimentation élevés, on atteint la moyenne d’un évènement archéologique identifié pour 2500 ans. On peut donc parler de séquence à haute résolution archéologique et chronologique. Par ailleurs, cette séquence continentale a manifestement enregistré certains évènements climatiques abrupts globaux du Pléistocène supérieur.

Lavage, marquage et inventaire du matériel lithique. Photo Sandrine Soriano

Lavage, marquage et inventaire du matériel lithique. Photo Sandrine Soriano

La diversité et la fréquence des changements dans les industries lithiques pour le Paléolithique moyen sont une autre caractéristique de cette séquence d’Ounjougou. En dehors d’être incompatible avec l’hypothèse d’une évolution strictement locale, elle tranche avec la monotonie apparente de l’Atérien saharien. L’explication de ces changements repose probablement dans le remplacement périodique des peuplements, dont le moteur reste à déterminer.

Identité et traditions techniques au Paléolithique moyen à Ounjougou

Le plus ancien indice de peuplement de la région au Paléolithique moyen, un nucléus Levallois à enlèvement préférentiel, remonte à la fin du Pléistocène moyen, entre 150 000 et 200 000 ans mais ce n’est qu’à partir de 80 000 ans que les traces de peuplement se multiplient. Vont alors se succéder différentes industries jusque autour de 22 000 à 26 000 ans avant de laisser place au dernier grand aride, lequel semble avoir vidé la région de ses occupants.

Une concentration d’éclats de quartz dans un niveau du Ravin de la Vipère. Photo S. Soriano

Une concentration d’éclats de quartz dans un niveau du Ravin de la Vipère. Photo S. Soriano

Malgré des matières premières ingrates, quartz et grès essentiellement, certaines de ces industries vont présenter des caractères techniques et typologiques typiques du Paléolithique moyen : débitage Levallois, débitage discoïde, autre débitage de type centripète ou bien encore débitage en séries unipolaires. L’outillage, rare ou absent, comme souvent pour les sites de plein air, qui plus est sur de telles matières premières, comprend racloirs, encoches et denticulés.

Certaines industries sont d’ailleurs très comparables au Paléolithique moyen d’Europe occidentale. Mais il faut aussi mentionner des industries plus originales, presque toujours uniques dans la séquence. Ainsi, on remarque une industrie au débitage laminaire, une autre avec des rabots massifs ou encore avec un débitage bipolaire sur enclume.

La plaine du Séno

Les recherches ont été étendues à une quinzaine de kilomètres au sud-est d’Ounjougou, dans les fortes accumulations sableuses de la plaine du Séno qui, au contact de la falaise, sont profondément incisées par l’érosion.

Un polyèdre en grès ; un des plus vieux outils d’Ounjougou. Photo S. Soriano

Un polyèdre en grès ; un des plus vieux outils d’Ounjougou. Photo S. Soriano

Les premiers résultats sur ce secteur tendent à valider la séquence chronostratigraphique obtenue à Ounjougou, confirmant la valeur extra-régionale des enregistrements pédo-sédimentaires. De nouvelles industries lithiques du Paléolithique moyen ont été individualisées, amplifiant à nouveau la diversité déjà documentée à Ounjougou.

Un nucléus Levallois particulièrement typique. Dessin S. Soriano

Un nucléus Levallois particulièrement typique. Dessin S. Soriano

Sylvain Soriano