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Métallurgie du fer et forgerons au Pays dogon

Fig.1  Localisation des trois castes de forgerons au pays dogon. Réalisation C. Robion-Brunner

Fig.1 Localisation des trois castes de forgerons au Pays dogon. DAO C. Robion-Brunner

Histoire d’un « savoir-fer »

Organisés en communautés villageoises, les Dogon constituent une société agricole comprenant des chefferies héréditaires fondées sur la maîtrise de la terre. La terre est un élément fondamental de l’identité collective des Dogon. Leur outillage se compose principalement de houes et de haches en fer. La maîtrise de l’extraction, de la réduction du minerai de fer ainsi que de la mise en forme des objets sont un enjeu majeur dans cette société rurale.
La généralisation de l’usage du fer a eu un impact important sur l’organisation des sociétés et la gestion du territoire. Le Pays dogon, lieu d’influences multiples, possède un patrimoine remarquable par le nombre et la variété des vestiges sidérurgiques ; cela en fait un contexte favorable pour analyser la formation des castes de forgerons et l’organisation de l’industrie du fer.
Notre démarche est à la fois extensive et diachronique. Elle se base sur l’analyse des traditions orales et des vestiges archéologiques recueillis lors des prospections et des fouilles.

Fig.2  Les traditions sidérurgiques, les sites d’extraction et de réduction découverts au pays dogon. Réalisation C. Robion-Brunner

Fig.2 Les traditions sidérurgiques, les sites d’extraction et de réduction découverts au Pays dogon. DAO C. Robion-Brunner

Qui sont les forgerons dogon ?

Les recherches antérieures ont distingué au Pays dogon trois castes de forgeron : les Jèmè-na, les Jèmè-irin et les Jèmè-yélin (fig. 1). Elles ont été définies selon leur savoir technique et leur lieu de résidence. Seuls des sites de réduction localisés dans la plaine du Séno et sur le plateau méridional sont mentionnés. Le plateau de Bandiagara était présenté comme vierge de toute production sidérurgique, les Jèmè-irin devaient donc se fournir en fer auprès des Jèmè-na.
La reconstitution des parcours migratoires suivant le patronyme montre que les Jèmè-irin ont une histoire propre mais dépendante de celle des agriculteurs, et un processus de formation complexe. Ils appartiennent à une caste non-hermétique dont les règles maritales se modifient selon les circonstances économiques, politiques et sociales. Cette caste s’est constituée au Pays dogon à partir d’un substrat populationnel autochtone auquel se sont ajoutées successivement des populations provenant majoritairement du delta intérieur du Niger. À l’origine, ces individus n’appartenaient pas tous à la catégorie sociale des forgerons. Sur la base d’une transformation sociale volontaire ou contrainte par les Dogon, des agriculteurs autochtones, dogon ou étrangers, ainsi que des esclaves, sont devenus des spécialistes du fer pour répondre à des besoins économiques.

Fig.3 Le site de réduction d’Elé. Photo C. Robion-Brunner

Fig.3 Le site de réduction d’Elé. Photo C. Robion-Brunner

La métallurgie sur le plateau

Lors de nos missions de terrain, plus de 50 complexes sidérurgiques ont été répertoriés et localisés sur le plateau et la falaise de Bandiagara. Leur étude a permis de mettre en évidence le nombre et la variété des vestiges sidérurgiques et de distinguer six traditions métallurgiques (Fiko, Ouin, Ama, Aridinyi, Enndé et Tinntam) (fig. 2).
D’un point de vue technologique, ces traditions montrent de nombreuses parentés. Tous les fourneaux possèdent une ventilation par tirage naturel. La méthode de réduction est celle du procédé direct avec séparation de la scorie et du fer. Néanmoins, ces traditions présentent différents modes d’évacuation des scories. À la fois la séparation verticale (Aridinyi et Enndé) et latérale (Fiko, Ouin, Ama et Tinntam) ont été enregistrées ; ces deux types de technologies fonctionnaient au début du 20ème siècle.

Les sites de réduction possèdent des amas de scories de taille variable. La tradition Enndé se singularise par des petits tas de scories éparpillés (fig. 3). Cette production semble sporadique et liée à une activité saisonnière, non inscrite dans le territoire. Les traditions Ouin et Ama réunissent des sites composés d’amas peu élevés (fig. 4). La production était régulière et se destinait à la consommation locale.

Fig.4 Le site de réduction de Ouin. Photo C. Robion-Brunner)

Fig.4 Le site de réduction de Ouin. Photo C. Robion-Brunner

L’organisation spatiale des sites des traditions Aridinyi et Tinntam est différente. Ces traditions rassemblent des sites tournés vers une production régulière à diffusion locale, et d’autres vers une production intensive à diffusion régionale. La tradition Fiko se distingue par ses importantes buttes de déchets, de 2 000 m3 à 80 000 m3 par complexe (fig. 5). Cette tradition constitue un véritable district sidérurgique. Implantée dans les marges ouest du plateau, cette production intensive devait être tournée vers un marché externe au Pays dogon.

L’historique de la sidérurgie dogon est encore difficile à envisager. Toutefois, les dates radiocarbones effectuées sur les sites de Fiko et de Gumbessugo montrent que cette activité était pratiquée au moins dès le 11ème siècle de notre ère, c’est-à-dire avant l’arrivée au 13ème-15ème siècle des Dogon.

Fig.5 Le site de réduction de Fiko. Photo C. Robion-Brunner

Fig.5 Le site de réduction de Fiko. Photo C. Robion-Brunner

Qui sont les métallurgistes ?

Dans la plupart des recherches ethnographiques, le terme de forgeron recouvre une dimension plus sociale et symbolique que technique. Afin de définir les différents participants, il faut prendre en compte et distinguer les principales étapes de la chaîne opératoire, la destination de la production et les statuts des acteurs.
Le monde de la sidérurgie ne concerne que deux catégories sociales, les agriculteurs et les forgerons. Ils ont pu travailler séparément ou ensemble. Pour la phase d’extraction du minerai, les détenteurs des terres et des connaissances magiques sont les agriculteurs ; les forgerons détiennent les connaissances techniques. Le travail de la mine nécessite une main d’œuvre importante, qui est composée à la fois d’agriculteurs et de forgerons.
Pour la réduction, les détenteurs des terres sont toujours des agriculteurs. Par contre, les forgerons détiennent les connaissances magiques et techniques. Sur les sites sidérurgiques à destination locale et régionale, les forgerons gèrent seuls cette opération technique. Sur les sites sidérurgiques à destination extrarégionale, les agriculteurs sont aidés par les forgerons des villages voisins, pendant que leurs forgerons traitent les loupes.

Fig.6 Les forgerons Baguéné de Fiko. Photo C. Robion-Brunner

Fig.6 Les forgerons Baguéné de Fiko. Photo C. Robion-Brunner

La forge est quant à elle un monde totalement organisé par les forgerons (fig. 6). Par conséquent, l’identité des métallurgistes dogon n’est pas unique, bien au contraire. Elle est multiple et diffère selon les statuts et les étapes de la production.

Grâce à l’association de différentes disciplines, nos recherches ont permis de préciser la diversité historique, géographique et sociale des Jèmè-irin et de déterminer l’identité des acteurs de la sidérurgie. Les prospections et les interventions archéologiques permettent de dresser une vision globale de la production du fer et d’établir que du fer a été produit sur le plateau selon des traditions sidérurgiques variées.

Caroline Robion-Brunner