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Géomorphologie du gisement d’Ounjougou

Sur cette photo prise vers l’amont, les ravinements d’Ounjougou sont très reconnaissables dans le secteur de la confluence. On peut également distinguer la terrasse protohistorique (qui domine directement le Yamé) du glacis supérieur (au premier plan à gauche). Photo aérienne D. Gladsteen

Sur cette photo prise vers l’amont, les ravinements d’Ounjougou sont très reconnaissables dans le secteur de la confluence. On peut également distinguer la terrasse protohistorique (qui domine directement le Yamé) du glacis supérieur (au premier plan à gauche). Photo aérienne D. Gladsteen

La complexité stratigraphique des formations de la vallée du Yamé ne se traduit pas systématiquement dans la topographie. À Ounjougou, l’apparente monotonie des reliefs du Plateau dogon, essentiellement développés dans les grès conglomératiques du Précambrien supérieur, est interrompue par la multiplication des glacis et des terrasses dessinés dans les formations fines du Pléistocène et de l’Holocène. Les profils transversaux de la vallée du Yamé sont à la fois des profils liés à une érosion de surface des secteurs proches des interfluves gréseux et à une accumulation dans les zones basses. Il s’agit donc de glacis d’érosion et d’accumulation qui sont aujourd’hui vigoureusement incisés.

On peut distinguer deux niveaux principaux :

Le glacis principal est celui qui constitue la majeure partie des surfaces de la partie centrale du plateau dogon, ensembles gréseux exceptés. Il se situe à des altitudes de 400-440m. Il s’agit à la fois d’un glacis d’érosion et d’accumulation dont la mise en place relève essentiellement de la grande période de remobilisation au début de l’Holocène des silts éoliens déposés sur la totalité de la superficie du plateau dogon durant le dernier maximum aride. A Kokolo, à Oumounaama, de très nombreuses coupes montrent nettement qu’il s’agit d’épandages de type colluvial qui se sont déposés sur un relief différencié, lui-même probablement lié à une phase érosive précédente. Au Ravin de la Vipère, les datations OSL disponibles confirment cette disposition : il existe un hiatus chronologique entre les limons superficiels datés de l’Holocène et les silts pléistocènes sous-jacents (ici antérieurs à 24 Ka). Ce glacis principal domine de plus de 20m le cours actuel du Yamé, il se termine par un rebord topographique très nettement marqué.

Le glacis secondaire est spatialement bien moins représenté. Il ne se remarque qu’à proximité du cours d’eau. Il s’inscrit plusieurs mètres en contrebas du précédent et son élaboration est responsable du très vigoureux rebord d’érosion qui a permis, à Kokolo, à Dandoli, à Sinkarma, la découverte d’outils du Paléolithique moyen. Glacis d’érosion à l’amont, dans les formations pléistocènes, il devient quelques dizaines de mètres plus bas glacis-terrasse et il est à associer alors à l’épais remblaiement protohistorique que l’on suit très bien le long du Yamé, du Boumbangou et du Ménié-Ménié. Cette sédimentation de limons jaunes et rouges a été datée de l’intervalle 5e / 15e s. de notre ère (s.l.) et constitue une très nette terrasse qui domine de 8 à 10m leYamé.

Formes et formations quaternaires à Ounjougou. U= unités du Pléistocène, H=unités de l'Holocène. Dessin M. Rasse.

Formes et formations quaternaires à Ounjougou. U= unités du Pléistocène, H=unités de l’Holocène. Dessin M. Rasse

Ces deux niveaux sont topographiquement bien définis ; ils n’en sont pas moins complexes. Il est en effet très difficile d’apprécier les micro-formes de surface et a fortiori les limites des formations, notamment dans la zone de transition érosion/accumulation qui se fait toujours très subtilement.

Localement d’ailleurs, le raccord est interrompu par un troisième plan, beaucoup plus discret dans le paysage : il s’agit de la terrasse néolithique que l’on retrouve à Damatoumou dominant de 4 à 5m le niveau protohistorique. C’est en réalité le seul endroit, en rive gauche du Yamé, juste avant la confluence, où cette étape se manifeste topographiquement. Sur l’autre rive, la transition entre le niveau supérieur et le remblaiement protohistorique se fait par une surface convexe sur laquelle les processus de ruissellement en nappe laissent apparaître un très grand nombre d’artéfacts lithiques (espace localisé juste au-dessus du site du Promontoire où ont été retrouvées les pointes de flèches bifaciales).

A l’aval immédiat de La Confluence, le contact avec la terrasse protohistorique (au sommet) se traduit par un rebord de terrasse de 10m, lequel témoigne de la vigueur de l’incision récente. A gauche dans le lointain , le secteur d’Oumounaama, plus ouvert et développé dans les formations pléistocènes. Photo M. Rasse

A l’aval immédiat de La Confluence, le contact avec la terrasse protohistorique (au sommet) se traduit par un rebord de terrasse de 10m, lequel témoigne de la vigueur de l’incision récente. A gauche dans le lointain , le secteur d’Oumounaama, plus ouvert et développé dans les formations pléistocènes. Photo M. Rasse

Des conditions exceptionnelles de conservation des formations quaternaires

Mais, d’emblée, ce qui surprend le plus à Ounjougou, c’est la multitude des ravinements et l’on constate que ce phénomène est de surcroît extrêmement localisé. Effectivement, à l’aval et à l’amont immédiat de la confluence du Yamé et du Boumbangou, la vallée se présente selon sa physionomie habituelle, ample, avec des versants peu marqués dans les formations superficielles. Tout au plus, lorsque l’on arrive de Bandiagara, se remarquent quelques zones où l’érosion superficielle affecte l’extrême-amont du glacis inférieur, laissant suggérer des processus déjà « anciens » dans les topo-séquences. À Ounjougou au contraire, la topographie est tout autre. Aux pentes douces des secteurs voisins s’oppose la verticalité du profil topographique développé dans les formations récentes et les ravinements deviennent omniprésents, s’étendant sur de très grandes portions des terroirs. Tout suggère donc un phénomène à la fois localisé et brutal qu’il était de prime abord difficile de recadrer avec ce qui est connu et communément admis de l’évolution des paysages sous la causalité conjuguée des modifications climatiques récentes et de l’action anthropique.

L’explication n’aurait certainement pas été apportée sans le recours à la discussion avec les habitants des villages les plus proches, lesquels relatent un phénomène catastrophique intervenu durant les épisodes fortement pluvieux d’août 1936 (d’après les dernières enquêtes de A. Mayor): en une nuit, le Yamé qui s’écoulait par un seuil situé actuellement à 402m d’altitude, a adopté son cours actuel en modifiant totalement la configuration du site et des parcelles cultivées (Huysecom et al., 2002, 2004). La cascade du seuil gréseux, dont les habitants ont conservé la mémoire, a cessé dès lors de fonctionner et les marécages, situés à l’amont et à l’aval du secteur qui a été brutalement ouvert, ont tous deux disparu.

Une preuve de la modification hydrographique intervenue en 1936 est apportée par la paléovallée qu’utilisait le Yamé. On y remarque des marmites d’érosion mais aussi des enduits et des polis fluviatiles témoignant de l’activité hydrologique. Photo M. Rasse

Une preuve de la modification hydrographique intervenue en 1936 est apportée par la paléovallée qu’utilisait le Yamé. On y remarque des marmites d’érosion mais aussi des enduits et des polis fluviatiles témoignant de l’activité hydrologique. Photo M. Rasse

Outre les témoignages oraux, de nombreux indices géomorphologiques plaident en faveur de cette évolution récente. Le seuil par lequel passait le paléocours est situé 9m en contre-haut du talweg actuel, mais quatre à cinq mètres en contrebas de la terrasse protohistorique, laquelle était pro parte à l’origine du « bouchon » sédimentaire. Les altitudes de la vallée morte sont donc parfaitement compatibles avec l’hypothèse de cette modification. Le tracé même du lit fluvial a été localisé, avec une très grande précision. Il présente encore une grande fraîcheur des formes : les marmites d’érosion suggèrent un cours d’eau puissant et les grès conglomératiques du seuil présentent un poli fluviatile bien particulier que l’on ne retrouve aucunement ailleurs dans la vallée.

La preuve cartographique a été de surcroît apportée dernièrement : la première carte topographique de Bandiagara indique clairement, malgré l’imprécision du 1/200000e, les paléo-méandres du Yamé. Établie en 1936, mais à partir de travaux réalisés antérieurement par le Service Géographique de l’Afrique Occidentale Française, cette carte a été notamment reprise par la Geographical Section of War Office pour une nouvelle publication durant la seconde guerre mondiale (1942).

Il est donc aujourd’hui certain que les conditions géomorphologiques ont effectivement changé, de manière instantanée, il y a plus d’un demi-siècle. Il ne s’agit que d’une auto-capture relativement banale, liée à l’érosion régressive du ruisseau qui s’était établi dans le secteur d’Oumounaama ; mais en changeant brutalement son profil longitudinal, puisqu’il n’y avait plus de barres gréseuses résistantes sur son parcours, le Yamé s’est encaissé dans les formations pléistocènes et holocènes en développant les ravinements que l’on connaît aujourd’hui. Le Ravin sud, qui rejoignait le cours principal au niveau du seuil topographique, a été contraint de prolonger son tracé jusqu’à la confluence actuelle, en réutilisant en sens inverse une partie de la vallée abandonnée. Cette érosion continue d’agir rapidement : la comparaison des missions photographiques de 1952 et de 1982 montre très nettement l’encaissement du réseau dans la vallée et le recul très important des têtes de ravins. Chaque saison des pluies participe à cette érosion -les pluies abondantes de ces dernières années (2003 et 2007 notamment) ont contribué à une érosion efficace-, et il est donc grandement nécessaire de fouiller activement dans les prochaines années puisqu’il est probable que le stock sédimentaire, et avec lui les informations archéologiques, aura été sérieusement réduit dans les trois ou quatre décennies qui viennent.

Michel Rasse