Introduction
En Afrique de l’Ouest, les conditions de préservation des sols n’ont été que rarement favorables à l’enregistrement de longues séquences sédimentaires et archéologiques. La plupart des vestiges se retrouvent en surface, ce qui rend difficile voire impossible tout calage chronologique, qu’il soit relatif ou absolu. Cependant, en pays Dogon, de fortes accumulations sédimentaires ont été conservées dans plusieurs secteurs, piégeant de nombreuses traces d’occupations humaines du Paléolithique et rendant possible leur étude chronologique.
Si le champ des méthodes de datation est restreint du fait de la conservation exclusive des matières minérales, à l’exception des charbons pour l’Holocène, les conditions sont favorables à la datation par luminescence stimulée optiquement (OSL) : les sédiments sont constitués majoritairement de quartz, qui est de plus doté dans cette région d’un signal de luminescence particulièrement fort.
En bref: le principe de l’OSL
Les éléments radioactifs des familles de l’Uranium, du Thorium et du Potassium sont présents naturellement et en très faible quantité dans tous les sédiments. La décroissance radioactive est accompagnée d’une libération d’énergie, dont une partie est absorbée par les minéraux environnants. Lorsque ceux-ci sont soumis à une excitation lumineuse, l’énergie cumulée dans les réseaux cristallins est libérée, provoquant une émission lumineuse: c’est la luminescence stimulée optiquement ou OSL. Lorsqu’un sédiment est exposé à la lumière naturelle avant de se déposer, l’OSL acquise lors des temps géologiques est effacée. Le chronomètre « luminescent » est remis à zéro. L’OSL s’accumule ensuite, en réponse aux radiations ionisantes reçues durant la période d’enfouissement du sédiment. Le niveau d’OSL observé dans les échantillons anciens est donc dépendant de la dose d’irradiation absorbée, et peut ainsi être relié au temps écoulé depuis le dernier éclairage, une fois que la dose reçue annuellement (durant l’enfouissement) a été calculée.
Age (ka) = Dose équivalente (Gy) / débit de dose (Gy/ka)
Pour de plus amples détails sur les mécanismes physiques impliqués
Quelques éléments de méthodologie
Plusieurs techniques sont possibles pour l’échantillonnage OSL, le principe étant de toujours éviter au maximum un blanchiment (exposition à la lumière) accidentel. A Ounjougou, les prélèvements nocturnes sont à proscrire. En effet, d’après les croyances locales, les Génies des Eaux qui vivent à la confluence des quatre rivières, ne permettent pas aux humains (et en particulier aux femmes) de demeurer sur leur domaine la nuit. A moins de procéder à des sacrifices de boucs, ce que nous préférons éviter, des désastres peuvent se produire si cette règle n’est pas respectée. Plus simplement, vue la compacité des sédiments, la technique que nous employons le plus fréquemment est celle de la taille de petits blocs d’environ 1 dm3, qui seront retaillés au laboratoire sous une lumière rouge ou orange qui n’affecte pas le signal d’OSL.
Le débit de dose est déterminé en combinant plusieurs techniques analytiques : spectrométrie gamma sur le terrain, spectrométrie gamma à haute résolution au laboratoire ou ICPMS (Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry). Pour déterminer la dose équivalente, la technique du grain unique est préférentiellement utilisée car elle permet d’analyser au mieux l’homogénéité du sédiment : tous les grains n’ont en effet pas la même histoire. Si l’origine des sédiments est éolienne, une grande partie a subi un remaniement par les eaux ce qui a pu induire des variations au niveau du blanchiment. De plus les termites (et d’autres insectes), très actifs, ont pu occasionnellement conduire à l’intrusion de matériel très jeune dans les niveaux pléistocènes ou à un mélange de niveaux anciens. Il est important de repérer les grains mal blanchis ou intrusifs et de les écarter du calcul de la dose équivalente moyenne pour que l’âge ait un sens.
Travaux réalisés 2000-2008
Les études chronologiques par OSL ont débuté en 2000 sous la responsabilité de S. Stokes au département de Géographie de l’Université d’Oxford. Elles sont actuellement poursuivies sous la responsabilité de C. Tribolo par l’équipe de géochronologie du Centre de Recherche en Physique Appliquée à L’Archéologie (IRAMAT-UMR 5060 CNRS, Université de Bordeaux).
Les analyses effectuées ont tout d’abord concerné le Pléistocène du complexe de sites paléolithiques d’Ounjougou. Elles montrent que dans la vallée du Yamé, les accumulations sédimentaires conservées et les nombreuses traces d’occupations humaines concernent principalement les stades isotopiques 4 et 3 (74-24 ka) (link avec pages Sylvain S et Michel R). Au-delà, les sédiments ont souvent été partiellement érodés ou fortement altérés, rendant les datations plus complexes ou impossibles, mais témoignent aussi d’occupations humaines. Le stade isotopique 2 (24-12 ka) est encore mal cerné et ce n’est qu’à partir du début de l’Holocène que l’on retrouve accumulations sédimentaires importantes et occupations humaines certaines.
Des travaux similaires ont été réalisés dans la vallée de piémont, sous les villages de falaise de Yawa et Songona. Des collines d’une trentaine de mètres de hauteur témoignent d’une accumulation sédimentaire importante durant les stades isotopiques 4 et 3 qui a piégé plusieurs sites paléolithiques. Ces vestiges et la dynamique sédimentaire pourront être mis en parallèle avec les découvertes d’Ounjougou dès que les âges seront précisés.
Enfin d’autres gisements dans la région (les abris de Kobo 1 et l’Abri aux Vaches) ont été étudiés afin de mieux cerner la transition Pléistocène-Holocène et/ou l’apparition des industries microlithiques.