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Plaidoyer pour un Néolithique ancien en Afrique subsaharienne

Introduction

Troupeau peul dans le Delta Intérieur du Niger. Photo E. Huysecom.

Troupeau peul dans le Delta Intérieur du Niger. Photo E. Huysecom

Les découvertes récentes effectuées à Ounjougou révèlent que l’Afrique a connu l’une des céramiques parmi les plus anciennes au Monde, au début du 10e millénaire avant notre ère, tandis que les recherches menées récemment en contexte saharien et dans la vallée du Nil, démontrent la pratique de la domestication des bovinés dans le courant du 9e millénaire avant notre ère, soit plus de 1000 ans avant la Grèce ou le Proche-Orient.

L’utilisation du terme « Néolithique » en Afrique: deux écoles

Pour l’Europe ou le Proche-Orient, le terme « Néolithique » désigne des sociétés sédentaires dont l’économie est basée sur un système de production des biens vivriers. Hormis quelques rares exceptions, le Néolithique s’y caractérise par l’adoption, dans un ordre ou un autre, de la domestication animale, de l’agriculture, de la fabrication de la céramique et de la sédentarisation. Un jour ou l’autre, ce processus se solde, pour les sociétés céréalières, par l’urbanisation.

En Afrique, en revanche, le processus de « néolithisation » est flou. Son acception par les chercheurs varie suivant les régions, voire les groupes humains, et la qualité inégale des recherches ne facilite pas son appréhension. Ainsi, on constate qu’un même site peut être qualifié, selon les auteurs, de néolithique, de proto-néolithique, de méso-néolithique, d’épipaléolithique ou de paléolithique final ! Ce manque de cohérence terminologique rend la compréhension globale des processus difficile.

Dans les faits, deux courants s’opposent : l’un donne la priorité à la culture matérielle, l’autre à un ensemble d’activités économiques. Dans le premier cas, on se base sur la présence, ou sur l’absence, de céramique pour qualifier de néolithiques ou pas les ensembles matériels découverts, qui sont antérieurs à l’avènement de la métallurgie. Cette approche a le mérite d’être pratique, mais dans sa brutale simplicité, elles ne prend aucunement en compte les particularités économiques des diverses sociétés.

Camp de pêcheurs Bozos, dans le Delta Intérieur du Niger. Photo E. Huysecom.

Camp de pêcheurs Bozos, dans le Delta Intérieur du Niger. Photo E. Huysecom

Dans le second courant, on n’emploie le terme néolithique que pour désigner les cultures antérieures à l’âge des métaux pour lesquelles les archéologues ont pu mettre en évidence l’existence d’une véritable économie de production. Ce courant rejoint donc le modèle du Proche-Orient ou de l’Europe, ce qui, par rapport à l’approche fondée sur la céramique, est plus satisfaisant puisque les caractéristiques économiques des sociétés sont prises en compte. Toutefois, cette approche revient le plus souvent à exclure l’Afrique du Néolithique, car dans la pratique, les vestiges organiques des divers systèmes de production sont si mal conservés dans les sols ferrugineux tropicaux subsahariens acides qu’il devient impossible de mettre en évidence la pratique de l’élevage ou de l’agriculture. On peut, certes, recourir à d’autres documents, tel que l’art rupestre pour identifier la pratique de l’élevage, ou les murettes en pierre pour déterminer l’usage de périmètres agricoles, mais leur datation est souvent difficile et leur interprétation ambiguë. Quant aux greniers et au matériel de broyage, ils peuvent aussi bien concerner la gestion de graminées sauvages que celle de céréales domestiquées.

Outre ces difficultés d’étude, nous pensons – notamment parce que c’est toujours en partie le cas aujourd’hui – que l’Afrique a développé des sociétés aux économies fort diverses, dont les mécanismes ne se comparent pas à ceux, européens ou proche orientaux, qui sont pris en référence. Il est rare en effet de trouver, avant l’âge du fer, des sociétés africaines méritant le qualificatif néolithique dans son acception européenne, c’est-à-dire des sédentaires possédant conjointement l’élevage, l’agriculture et la poterie.

Boucanage de viande de phacochère dans le Baoulé. Photo E. Huysecom.

Boucanage de viande de phacochère dans le Baoulé. Photo E. Huysecom

« Néolithique africain »: réflexion et proposition

Pour autant, refuser la néolithisation aux sociétés subsahariennes est européocentrique et dangereux. Une fois simplifiée et dégagée de son contexte, cette idée donne prise à une récupération politique et à une fréquente dérive dépréciative caractérisée par des propos sur l’Afrique du genre : le « continent qui n’a découvert ni la roue, ni l’écriture, ni le néolithique ». C’est non seulement détestable, mais, nous l’avons vu, grossièrement faux.

Alors comment aborder la néolithisation en Afrique ? Sans polémiquer ni nous perdre dans un débat qui s’enlise depuis plusieurs décennies, nous défendons trois idées, selon nous essentielles pour caractériser le Néolithique africain dans ce qu’il a de propre. La première est que les sociétés productrices de céramiques qui apparaissent en Afrique dès le début de l’Holocène peuvent être qualifiées de néolithiques ou du moins de proto néolithiques, même si le mode de vie sédentaire ou la domestication des espèces animales et végétales n’y sont pas pratiquées conjointement. Soulignons que la mise en forme créative de l’argile et sa cuisson témoigne d’un type d’emprise de l’homme sur l’environnement, tout à fait différent de celui des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Pareille invention ne peut qu’avoir eu des répercussions sur la division sociale du travail et des savoirs, vu les connaissances techniques requises pour connaître la qualité des argiles et des dégraissants, les paramètres de cuisson ou les modes de façonnage. Elle est aussi peu compatible avec la mobilité importante des chasseurs-cueilleurs, étant donné que les sources d’argile ne se déplacent pas et que les récipients de terre sont fragiles et lourds ! Ainsi, les premières cultures à céramiques sont celles de sociétés où, pour produire, on domestique les éléments naturels, qu’il s’agisse de terre, de plantes ou d’animaux sauvages. La transformation ou la domestication des éléments naturels afin de produire, n’est-ce pas cela l’essence de la néolithisation ?

Récolte de miel sauvage dans le Baoulé. Photo E. Huysecom.

Récolte de miel sauvage dans le Baoulé. Photo E. Huysecom

Deuxième idée : les attributs du système néolithique africain sont les mêmes que ceux de l’européen (agriculture, élevage, poterie, sédentarisation), mais au lieu d’être forcément présents simultanément au sein d’une même population, ils ont pu exister en même temps au sein de plusieurs groupes contemporains. Sans cette souplesse dans l’application de la définition traditionnelle du Néolithique, on risque de conclure qu’aucune société africaine du début de l’Holocène ne fut néolithique. De fait, nombre de populations rurales africaines possèdent aujourd’hui des téléphones mobiles ou des appareils de télévision, mais ne pratiquent pas l’agriculture ou ne sont pas complètement sédentaires. Par ailleurs, de nombreux peuples africains, à la place d’une adoption globale du « kit néolithique » (élevage – sédentarisation – agriculture – céramique – …), ont choisi la voie de la complémentarité des modes de subsistance, se spécialisant dans l’un ou l’autre des domaines de production des biens vivriers, et comptant sur les voisins pour les productions complémentaires. De ceci naît une situation complexe de rapports d’interdépendance entre différentes populations aux activités variées, mais qui, dans l’ensemble, exhibe toutes les facettes d’une société dite néolithique!

Troisième idée : les cueillettes sélectives intensives, que nous définissons ici comme des récoltes ciblées, systématiques et rationnelles de certaines plantes comestibles sauvages, pouvant être considérées par leur importance comme une véritable stratégie d’acquisition de denrées vivrières, ont pu représenter pendant le néolithique africain une source alimentaire importante, voire suffisante ; or leur préparation suppose l’emploi des mêmes récipients et ustensiles de cuisine que celle des produits issus de l’agriculture. Dans un processus historique évolutif, nous pouvons considérer ces cueillettes sélectives intensives comme caractérisant un stade intermédiaire entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs sédentaires. Cette forme d’économie « proto-agricole » peut induire non seulement des aménagements du territoire comprenant des défrichements plus ou moins importants et réguliers, notamment par le feu qui favorise notamment la multiplication des graminées, mais aussi une certaine semi-sédentarité puisque des séjours saisonniers en certains endroits propices aux collectes s’imposent. Or cette analyse est corroborée par les observations ethnographiques : dans le Mali actuel, les plantes ou les graminées sauvages récoltées dans l’environnement naturel font aujourd’hui encore l’objet d’un commerce important sur les marchés et sont préparées avec les mêmes instruments et de façon identique que les produits issus de l’agriculture.

Récolte de plantes sauvages en Pays dogon. Photo C. Selleger.

Récolte de plantes sauvages en Pays dogon. Photo C. Selleger

Nous voyons ainsi que, très tôt, en Afrique, apparaissent des sociétés pratiquant le mode de vie néolithique, mais sur la base de graminées sauvages. Ces sociétés ont maîtrisé la poterie et sans doute d’autres techniques néolithiques. Elles peuvent être considérées comme néolithiques, pourvu que l’on accepte d’appliquer une définition moins traditionnelle de la néolithisation. Dans cette définition plus adaptée à l’Afrique, les mêmes éléments directeurs que ceux de la définition traditionnelle – céramique, élevage, agriculture, sédentarité – sont présents, mais au sein d’ensembles de sociétés contemporaines, en interactions les unes avec les autres, plutôt qu’au sein d’une seule et même société. Si l’on accepte cette souplesse et si l’on tient compte de la disparition quasi systématique des vestiges organiques en sol africain, il devient clair que les sociétés du début de l’Holocène fondées sur les cueillettes sélectives intensives ont préparé et déclenché l’avènement précoce d’un authentique système néolithique africain.

Eric Huysecom