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L’histoire du peuplement en Pays dogon depuis 2000 ans : une dynamique complexe

Abri-sous-roche de Dangandouloun. Photo A. Mayor

Abri-sous-roche de Dangandouloun. Photo A. Mayor

Problématique

La question des migrations face à des contingences multiples, qu’elles soient humaines ou naturelles, et de l’anthropisation des paysages qui en résulte, rencontre un intérêt croissant parmi les archéologues, mais aussi parmi les historiens, ethnologues, géographes, voire parmi les politiciens et acteurs des projets d’aide au développement, concernés par le thème des migrations et de l’environnement, mais souvent dépourvus de référentiels intégrant la profondeur historique.

Vue des fouilles de Dangandouloun. Photo A. Mayor

Vue des fouilles de Dangandouloun. Photo A. Mayor

Une meilleure connaissance de la genèse du peuplement actuel et des relations entre premiers établis et derniers arrivés en pays dogon rencontre aussi l’intérêt des populations et autorités locales, avec des enjeux liés aux droits sur les terres et aux jeux de pouvoirs, qui doivent être regardés comme des révélateurs d’une histoire complexe caractérisant une zone refuge, et dont les conséquences s’expriment encore de nos jours.

Les recherches hollandaises menées dans les années 1970-80 dans les grottes de la falaise autour de Sanga avaient jeté les bases d’une première séquence chono-culturelle pour le Pays dogon, qui faisait référence jusqu’à récemment. Celle-ci se composait de 3 temps : une occupation qualifiée de « toloy » aux 2e-3e s. BC, une occupation dite « tellem » du 11e au 15e s. AD, suivie de l’occupation dogon après le 15e siècle. Cette séquence étonnante, marquée par un hiatus de plus d’un millénaire à une époque pourtant favorable climatiquement, au cours de laquelle se sont développées les premières formations étatiques de la Boucle du Niger, méritait une réévaluation par de nouvelles fouilles et un élargissement du champ d’étude à l’ensemble du Pays dogon.

Matériel céramique 3D de Dangandouloun. Reconstitution A. Mayor et B. Gallay

Matériel céramique 3D de Dangandouloun. Reconstitution A. Mayor et B. Gallay

Objectifs et méthodes de recherche

L’objectif général de nos études vise à reconstruire un scénario des peuplements pré-dogon et dogon, en lien avec les variations climatiques et environnementales, et de mettre en évidence quelques mécanismes à la base des migrations, en croisant les données de plusieurs disciplines, dont l’archéologie, l’ethnoarchéologie, l’ethnohistoire et l’archéobotanique.

Un modèle du peuplement, fondé sur une approche actualiste des corrélations entre les caractéristiques des chaînes opératoires céramiques et les entités ethnolinguistiques, développé dans le cadre de ma thèse pour l’ensemble de la Boucle du Niger (Mayor 2005, 2011), sert de référence pour l’interprétation des vestiges archéologiques et pourra être affiné ou remis en question au fil des découvertes.

Coupe tripode de Dangandouloun. Photo A. Mayor

Coupe tripode de Dangandouloun. Photo A. Mayor

Des résultats surprenants

Depuis 1998, nous avons effectué plusieurs fouilles archéologiques sur le plateau, dans la région d’Ounjougou, et au niveau de la Falaise de Bandiagara, dans la région de Yawa, qui nous ont permis de faire des avancées considérables dans la compréhension du peuplement pré-dogon, au cours d’une période de l’histoire jusque-là très mal connue.

Les assemblages céramiques contrastés de plusieurs sites, comme les sépultures de Dourou-Boro au sommet de la falaise (fouille E. Huysecom ; 2e – 9e s. AD), le dépôt de matériel domestique de Songona 2 dans une dune de sable du pied de falaise (fouille A. Mayor ; 5e- 11e s. AD), l’abri-sous-roche rituel de Dangandouloun sur le plateau (fouille A. Mayor ; 7e – 12e s. AD), le Promontoire d’Ounjougou en bordure du Yamé (fouille A. Downing ; 7e – 13e s. AD), ou le site de production métallurgique de Fiko (fouille S. Perret ; 7e – 19e s. AD), indiquent une complexité socio-économique et une diversité des groupes au premier millénaire de notre ère insoupçonnées précédemment.

Ainsi, après une rupture avec les sites néolithiques récents abandonnés au 4e s. BC, le Pays dogon se présente comme une zone à l’interface entre trois sphères ethnolinguistiques différentes, Mande, Gur et Songhay, dont les influences varient selon les régions et les périodes. La production abondante de coupes tripodes soignées, que l’on retrouve loin à la ronde pendant plusieurs siècles le long du fleuve Niger et dans le Yatenga, une production du fer croissante, comme à Fiko, et des biens de prestige issus du commerce à longue distance comme les perles en pâte de verre du Moyen-Orient de Dourou-Boro, témoignent de contacts importants avec l’extérieur dès le milieu du 1er millénaire AD.

Vue de la fouille de Songona 2. Photo A. Mayor

Vue de la fouille de Songona 2. Photo A. Mayor

Le 13e siècle voit la chute de l’empire du Ghana et l’émergence du royaume du Mali. Les traditions orales font remonter à cette période le départ du «Mandé», région aux confins de la Guinée et du Mali, des premiers groupes dogon réfractaires à l’islam. Dès le 15e siècle, l’empire Songhay étend son emprise sur la Boucle du Niger. Les opérations militaires et les razzias d’esclaves poussent diverses populations à se réfugier dans des endroits difficiles d’accès. Des greniers sont installés dans la Falaise pour protéger le produit des récoltes et les traditions matérielles changent, révélant par là l’arrivée d’une nouvelle population.

De nombreuses enquêtes de tradition orale et l’étude de plusieurs villages abandonnés proches du gisement d’Ounjougou nous ont permis de préciser la question du peuplement dogon. Au niveau matériel, les assemblages céramiques des villages abandonnés sont de plus en plus dominés par des récipients façonnés par martelage sur vannerie droite à brins cordés, la tradition pratiquée aujourd’hui par les femmes d’agriculteurs dogon. Les récits oraux révèlent quant à eux plusieurs phases de peuplement de divers clans, qui se revendiquent aujourd’hui comme appartenant à l’ethnie dogon, et qui conduisent entre les 15e et 19e siècles à la fondation de la plupart des villages actuels. L’histoire locale, complexe, est faite de délocalisations villageoises fréquentes liées à l’instabilité de l’histoire climatique et politique : découverte de points d’eau, assèchements de rivières, famines, conflits fonciers, mais aussi replis suite à des razzias de Peul, Bambara ou Mossi voisins.

Ces premiers travaux ont conduit à l’élaboration d’un premier scénario du peuplement du pays dogon en lien avec les variations climatiques et environnementales (Mayor et al. 2005 ; Mayor 2011).

Anne Mayor