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Le Néolithique récent du Pays dogon

Fouilles sur les secteurs 4 à 6 de Kéli Sogou, en février 2005. Photo S. Ozainne

Fouilles sur les secteurs 4 à 6 de Kéli Sogou, 2005. Photo S. Ozainne

Le Néolithique récent d’Ounjougou correspond à un intervalle chronologique assez large compris entre 2600 et 400 av. J.-C., découpés en trois grandes phases (phases 4, 5 et 6 de l’Holocène d’Ounjougou). Cette période est marquée par les importants changements climatiques et environnementaux qui affectent l’Afrique de l’Ouest à l’Holocène récent, ainsi que par plusieurs transitions culturelles majeures et l’apparition de l’agriculture vers 1800 av. J.-C.

La stratégie de recherches mise en œuvre pour la compréhension du Néolithique récent du Pays dogon s’est déroulée selon deux étapes distinctes. Dans un premier temps, une séquence chrono-culturelle de référence pour le plateau de Bandiagara, dont la préhistoire était encore inconnue au début des années 1990, a été élaborée à partir des données provenant du complexe de sites d’Ounjougou. La seconde partie du processus a consisté en une extension géographique des travaux afin d’évaluer la pertinence spatiale de la séquence élaborée à Ounjougou, et de combler ou de comprendre les hiatus mis en évidence dans la vallée du Yamé. C’est dans cette optique que les recherches se sont progressivement étendues aux environs directs de la falaise de Bandiagara ainsi qu’à la plaine du Séno. Des prospections plus ponctuelles ont également permis de recueillir des informations sur l’Holocène récent dans l’ouest du plateau de Bandiagara et dans le sud-est de la plaine du Séno.

Le Néolithique récent I (2600-2200 av. J.-C.)

Décors ondulés sur une céramique du 3e millénaire av. J.-C. Photo APA

Décors ondulés sur une céramique du 3e millénaire av. J.-C. Photo APA

Correspondant à la phase 4 de l’Holocène d’Ounjougou, le Néolithique récent I prend place dans un contexte d’aridification graduelle des paysages lié au déplacement des zones de végétation vers le sud faisant suite à une réduction des précipitations importante au début de l’Holocène récent en Afrique de l’Ouest. Les paysages végétaux du plateau passent progressivement d’une mosaïque savane/forêt ouverte à une savane soudanienne. Les caractéristiques de la céramique du Néolithique récent I sont très originales, avec une forte proportion de spicules d’éponge dans la pâte, le quartz étant le dégraissant le plus utilisé, ainsi que la présence de récipients très ouverts à large diamètre dont la panse présente des décors couvrants d’impressions roulées, associés dans un cas à une impression pivotante de type « Dotted wavy line » sous le bord.

Aucun témoignage d’élevage n’est associé à cette phase. Il faut toutefois souligner ici le fait que la nature des sédiments rencontrés à Ounjougou n’autorise aucune conservation des ossements, même à court terme. Il se pourrait toutefois que la région ait alors déjà été fréquentée ponctuellement dans le cadre de transhumances par des pasteurs venus de la frange sud du Sahara. L’agriculture n’est pas encore pratiquée.

Le Néolithique récent II (1800-800 av. J.-C.)

Céramique de la fin du 2e millénaire av. J.-C., site de Kéli Sogou. Photo S. Ozainne

Céramique de la fin du 2e millénaire av. J.-C., site de Kéli Sogou. Photo S. Ozainne

Le Néolithique récent II correspond aux phases 5a et 5b de l’Holocène d’Ounjougou. Il est caractérisé par une métamorphose bien marquée des paysages et du fonctionnement hydrographique de la vallée du Yamé, reflétant une saisonnalité désormais bien marquée. Un environnement de savane à affinités sahélo-soudaniennes, traversée annuellement par des feux de brousse, se développe tandis qu’un contexte économique et culturel radicalement différent se met en place dans la vallée du Yamé. La culture du mil (Pennisetum glaucum) est pratiquée dans la région à partir de 1800 av. J.-C. On observe également un net changement de tradition céramique, désormais surtout caractérisée par des récipients à ouverture réduite et des décors d’impressions roulées serrées, majoritairement obtenus à l’aide de roulettes à armatures multiples. Les premiers vestiges d’habitat connus dans la région, des structures de pierre correspondant à des vestiges d’établissements saisonniers, ont été érigés au plus tard vers le début du 18ème siècle av. J.-C. Des villages ou des hameaux de cultures se développent ensuite sur les bords de la vallée entre 1300 et 800 av. J.-C.

D’un point de vue technique et culturel, les caractéristiques de la céramique illustrent une rupture indiscutable avec le Néolithique récent I. Concernant les formes, on remarque surtout l’apparition de récipients à ouverture rétrécie à légère encolure et de vases globulaires à ouverture très rétrécie, présentant parfois une arrête interne bien marquée au niveau du col. Les décors couvrants obtenus par impressions roulées d’outils composites à armatures simples ou multiples sont très fréquents, et on remarque aussi l’apparition de motifs incisés en arcs de cercle parallèles obtenus au peigne. Il faut également souligner le début de l’utilisation de la peinture rouge, surtout appliquée sur le col des récipients. Une industrie lithique taillée peu abondante sur quartz ou quartzite est également associée au Néolithique récent II, et comprend notamment des éclats et des nucleus attestant la pratique de débitage bipolaire sur enclume, ainsi que quelques grattoirs et perçoirs en quartz. La présence de haches en pierre polie est également attestée. Leur taille est généralement modeste et certains stigmates d’utilisation sur leur tranchant et leur talon semblent indiquer qu’elles ont pu être utilisées comme pièces intermédiaires, peut-être pour le travail du bois.

Fouilles sur le site de Nin-Bèrè 3, novembre 2008. Photo S. Ozainne

Fouille du site de Nin-Bèrè 3, 2008. Photo S. Ozainne

La fin du Néolithique récent en Pays dogon (800-400 av. J.-C.)

Au début du 1er millénaire av. J.-C., le plateau de Bandiagara est témoin de conditions climatiques plus arides que celles qui prévalaient pendant le Néolithique récent II. Dans les paysages végétaux, des espèces soudano-sahéliennes font leur apparition tandis que, lors de la saison sèche, désormais plus longue qu’auparavant, les mares sont entièrement asséchées. Les feux de brousse d’origine anthropique demeurent importants. Bien que probablement réalisés avec des outils un peu plus grossiers, les décors roulés typiques du Néolithique récent II semblent persister entre 800 et 400 av. J.-C. sur le plateau ainsi qu’au pied de la falaise (phase 6 d’Ounjougou). Les vestiges attribués à cette période sont toutefois nettement moins nombreux. La phase 6 correspond ainsi vraisemblablement à la dernière phase d’occupation néolithique du plateau. Pendant le même intervalle chronologique, la falaise de Bandiagara et la plaine du Séno sont en revanche confrontées à la mise en place d’une phase de transition Néolithique-Âge du Fer, dont les traditions céramiques reflètent à la fois un substrat du Néolithique récent II du plateau et l’arrivée de caractéristiques complètement nouvelles.

Sylvain Ozainne