Les Projets Ounjougou > Ounjougou > Pays dogon – Mali > Archéologie > Le début de l’Holocène à Ounjougou

Le début de l’Holocène à Ounjougou

Introduction

Fouilles dans les niveaux de l'Holocène ancien (HR4) au Ravin du Hibou, hiver 1997- 1998. Photo A.Mayor

Fouilles dans les niveaux de l’Holocène ancien (HR4) au Ravin du Hibou, hiver 1997- 1998. Photo A. Mayor

L’Ogolien, épisode extrêmement aride débutant en Afrique de l’Ouest aux alentours de 23.000 BP, se traduit à Ounjougou par un hiatus sédimentaire et archéologique important. Il faut attendre le retour des conditions climatiques humides de l’Holocène pour observer à nouveau des vestiges anthropiques dans cette partie du continent. C’est donc dans un contexte de forte pluviosité et de recolonisation du couvert végétal, dès le début du 10e millénaire av. J.-C., qu’une nouvelle population s’installe sur le Plateau de Bandiagara. Sur le gisement d’Ounjougou, plusieurs sites ont permis de définir deux phases d’occupation calées chronologiquement entre 10000 et 7000 BCcal. Fait marquant, la présence de céramique est attestée dès la première moitié du 10e millénaire. Il s’agit des plus anciens vestiges de ce type actuellement attestés en Afrique subsaharienne. L’utilisation de matériel de mouture en pierre est, quant à elle, confirmée dès le 8e millénaire par la découverte d’une meule et d’un broyeur.

Problématique et objectifs

C’est donc dans un contexte de bouleversement climatique et environnemental, de mouvement migratoire et de repeuplement d’une région de l’Afrique désertée durant plusieurs millénaires, qu’émerge l’art de la céramique et l’usage du matériel de broyage. Il s’agit pour nous de mieux connaître la culture matérielle de ces populations de l’Holocène ancien, de déterminer leur origine et identifier leur devenir, et enfin de préciser le cadre paléoenvironnemental dans lequel elles s’installèrent et évoluèrent. La compréhension des mécanismes qui amenèrent l’homme à inventer la céramique et l’outillage de mouture figure évidemment au cœur de notre problématique. Nous nous sommes donc fixé comme objectif la fouille des sites stratifiés de fond de vallée, géologiquement in situ, pour obtenir un échantillonnage le plus large possible des vestiges matériels, les situer en chronologie relative et absolue, et les mettre en relation avec la séquence géomorphologique et archéobotanique. Par comparaisons avec les quelques rares ensembles contemporains connus en Afrique occidentale et saharienne nous espérons retracer le parcours des hommes lorsque la végétation a repris ses droits aux débuts de l’Holocène. Enfin, grâce à des prospections systématiques, nous espérons découvrir des habitats contemporains nous livrant des informations complémentaires sur ces populations, en terme d’économie de subsistance ou d’occupation de l’espace.

 Coupe stratigraphique dans les niveaux des 10e-9e millénaires av. J.-C. (Ravin de la Mouche). Photo E.Huysecom

Coupe stratigraphique dans les niveaux des 10e-9e millénaires av. J.-C. (Ravin de la Mouche). Photo E. Huysecom

Les 10e et 9e millénaires (Phase 1 de l’Holocène d’Ounjougou)

C’est sur le site du Ravin de la Mouche que l’on distingue la première séquence sédimentaire de l’Holocène, sous la forme d’un chenal inscrit dans les silts pléistocènes jaunes, remblayé de sables grossiers et de graviers. L’insertion chronologique des niveaux supérieurs de ce premier ensemble est située par douze datations radiocarbones et trois datations OSL entre 9400 et 8400 BCcal. L’industrie lithique découverte en stratigraphie montre que le mode de débitage unidirectionnel prédomine, mais d’autres modes, notamment le débitage bipolaire sur enclume ou le mode multidirectionnel, ont également été pratiqués. Le quartz est la matière première principalement utilisée et l’éventail typologique comprend des éclats retouchés de petite dimension, des perçoirs, mais surtout des armatures bifaciales à retouche couvrante d’un type original.

Trois tessons de céramique sont associés à cette industrie. Ils proviennent tous de la base de l’unité stratigraphique, le HA1A. Leur épaisseur est fine, variant entre 4,5 et 7 mm. La seule forme restituable est un bol hémisphérique à bord simple de 21 cm de diamètre. L’un des tessons montre un décor à la roulette, qui n’a pas pu être identifié plus précisément. L’analyse microscopique de deux échantillons a révélé qu’ils contiennent une matrice silicatée, sans carbonates, avec 20-30 % d’inclusions non plastiques. Celles-ci sont constituées principalement par des monocristaux de quartz bien arrondis avec un bord de recristallisation, de diamètre fin à très fin. Ces quartz sont tout à fait similaires à ceux qu’on retrouve dans les grès et les argiles locales. L’analyse minéralogique des argiles des gisements connus les plus proches par diffraction aux rayons-X a révélé la présence de kaolinite, dont l’absence dans la céramique indique une température de cuisson supérieure à 550° C. Les pâtes ont été préparées en utilisant des argiles non calcaires, sans grand traitement préalable, comme le montre leur texture quelque peu chaotique. La structure sériale indique qu’aucun dégraissant n’a été ajouté. Seul un tesson contient quelques fragments de chamotte, d’un diamètre maximum de 4 mm. Cependant, leur faible pourcentage indique plutôt une incorporation involontaire durant l’élaboration de la pâte.

Le 8e millénaire (Phase 2 de l’Holocène d’Ounjougou)

La suite de la séquence holocène est bien documentée sur deux sites principaux, le Ravin du Hibou et Damatoumou. Les niveaux archéologiques sont chronologiquement bien calés par une date OSL et 7 dates 14C (8000-7000 BCcal). L’industrie lithique se caractérise par un débitage de galets de quartz selon les modes unidirectionnel, bidirectionnel, multidirectionnel, périphérique et par percussion bipolaire sur enclume. Elle se compose essentiellement de pièces microlithiques : perçoirs, pointes à bord abattu, encoches, denticulés, racloirs, éclats retouchés et microlithes géométriques.

Tesson de céramique du 8e millénaire av. J.-C. (Ravin du Hibou). Photo E. Franzonello

Tesson de céramique du 8e millénaire av. J.-C. (Ravin du Hibou). Photo E. Franzonello

Au Ravin du Hibou, sept tessons ont été prélevés lors des fouilles; très fragmentés, ils empêchent malheureusement toute reconstitution de formes de récipients. Concernant le dégraissant, le quartz est présent dans tous les tessons observés. Un seul contient également de la chamotte. Les éléments de décors présents sur deux tessons ont permis d’identifier plusieurs techniques distinctes dont une impression simple au peigne. Le matériel de broyage découvert en stratigraphie se compose d’un fragment de meule en grès et d’une molette de forme cylindrique.

Contexte ouest-africain et saharien

La céramique et le matériel de broyage des phase 1 et 2 d’Ounjougou constituent les plus anciens vestiges de ce type actuellement connus en Afrique subsaharienne. Dans l’état de nos connaissances, la céramique d’Ounjougou pourrait résulter d’un foyer d’invention dans l’actuelle zone sahélo-soudanaise et d’une exportation légèrement postérieure vers le Sahara central, où elle est connue dès le 9e millénaire av. J-C. Les poteries de Tagalagal au Niger, les plus anciennes connues pour cette région, sont déjà très diversifiées au moment de leur apparition, confirmant peut-être ainsi l’adoption de la technique céramique depuis un autre lieu d’origine. L’industrie lithique des phases 1 et 2 se caractérise quant à elle plus par des affinités méridionales, dont le microlithisme sur quartz à débitage bipolaire sur enclume propre au « technocomplexe microlithique subsaharien » (K. MacDonald), exceptées les armatures bifaciales qui ne se retrouvent que plus au Nord, en zone saharienne, sur des sites légèrement postérieurs. Un afflux culturel se dirigeant du sud-est de la zone subsaharienne vers le Sahara pourrait expliquer la diffusion des industries microlithiques sur quartz à travers l’Afrique de l’Ouest. Observables dans un premier temps au Cameroun à Shum Laka (30.600-29.000 av. J-C.), on les retrouve ensuite notamment en Côte d’Ivoire à Bingerville (14.100-13.400 av. J.-C.), au Nigeria à Iwo Eleru (11.460-11.050 av. J.-C.), puis enfin à Ounjougou (phase 1, 10e millénaire av. J.-C.).

Eric Huysecom