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Histoire du peuplement de la plaine du Séno-Gondo

Localisation de la zone d’étude

Localisation de la zone d’étude

L’histoire du peuplement a toujours constitué un enjeu majeur pour la reconstitution des identités culturelles, sociales et même « ethniques ». De par son caractère de carrefour, la plaine du Séno-Gondo est un terrain idéal pour aborder une telle reconstitution de l’histoire de peuplement. Située dans le Pays dogon, elle est reconnue pour la richesse de ses traditions orales dont la transmission se fait de génération en génération.

L’objectif de notre étude était de cerner le contexte du peuplement de la plaine du Séno-Gondo et d’établir un cadre chronologique de ce peuplement. Y a t-il eu un peuplement antérieur à celui des Dogon ? Si oui, qui sont ces populations ?

Pour conduire à bien ce travail, nous avons mené une étude pluridisciplinaire. Dans un premier temps, nous avons effectué des enquêtes sur les traditions orales visant à reconstituer l’histoire de peuplement. Parallèlement à la transcription de la tradition orale, nous avons réalisé des prospections et sondages archéologiques afin d’identifier les éléments matériels associés à l’histoire du peuplement ancien de la zone.

Enquête auprès des notables du village de Douna-Pen.

Enquête auprès des notables du village de Douna-Pen.

Approche ethnohistorique

Une analyse minutieuse des traditions a révélé un historique de la migration dogon beaucoup plus complexe et ancien que supposé au départ. La majorité de la population fait remonter la migration des Dogon sous l’empire du Mali, mais une minorité se dit originaire d’ailleurs. D’après les descendants d’Onronton (Ono), ils sont arrivés d’un pays lointain. D’après les descriptions d’A. Guindo de Béréli (A. Guindo, Béréli, décembre 2007), leurs ancêtres ont fui devant des ennemis à cheval qui voulaient les convertir à une nouvelle religion et devant une grande sécheresse dans leur région d’origine. Avant l’arrivée de la nouvelle religion, les habitants de ce pays vénéraient un grand serpent. Ce récit reprend exactement ce que certains auteurs nous apprennent sur le déclin de l’empire du Ghana à la fin du 11ème siècle (1076).

Quel que soit le motif de leur fuite, les Dogon actuels on retenu les différentes étapes de leur migration. Si les populations venues du Mandé semblent majoritaires, d’autres disent ne pas venir de cet endroit. Leur récit semble plutôt les rattacher à l’ancien empire du Ghana. L’idée d’une arrivée massive et unique des Dogon au 15ème siècle est d’ailleurs remise en question par plusieurs recherches récentes, dont la nôtre.

Malgré leur richesse, retracer les étapes du peuplement dogon de la plaine du Séno-Gondo à partir des seules traditions orales n’est pas une tâche aisée, les informations de certaines zones demeurant de plus très confuses. Le recours a une approche archéologique s’est alors avéré nécessaire pour pallier certaines incertitudes et atteindre nos objectifs, qui étaient d’établir l’origine et le processus d’installation des différentes grandes familles dans la plaine du Séno-Gondo, ainsi que la chronologie de leur arrivée dans la région et leurs rôles et statut au sein de la société dogon.

Sondage de Nin-Bèrè 1 sous le regard curieux de jeunes du village de Béréli

Sondage de Nin-Bèrè 1 sous le regard curieux de jeunes du village de Béréli

Approche archéologique

Les caractéristiques de la céramique récoltée lors de sondages effectués sur trois sites différents (Damassogou, Nin-Bèrè1 et Ambéré-Dougon) indiquent la coexistence de plusieurs traditions sur une longue période chronologique (entre le 2ème et le 14ème siècle AD). Les Dogon ont donc cohabité avec d’autres populations après leur arrivée. Nous soutenons alors l’hypothèse que le pays Dogon a été un lieu privilégié pour des interactions entre de nombreuses populations hétérogènes qui, avec le temps, ont mené à la constitution de ce qui est aujourd’hui appelé le « peuple dogon ».

Nos fouilles ont également permis d’identifier un décor céramique inconnu avant nos travaux et que nous avons nommé « impression de cordelette tressée de Béréli ». En l’état des recherches, ce décor ne peut être associé de façon stricte à un groupe culturel. Nos recherches archéologiques indiquent que la plaine du Séno-Gondo était peuplée avant l’arrivée des Dogon par diverses populations, qui sont regroupées sous l’appellation « pré-dogon ».

Scénario

Nos données ethnohistoriques et archéologiques permettent aujourd’hui d’élaborer un certain nombre d’hypothèses par rapport au peuplement de la plaine du Séno-Gondo et construire un scénario de peuplement.

Avant l’arrivée présumée des Dogon, communément associée à un intervalle compris entre le 13ème et le 15ème siècle, la plaine du Séno-Gondo a d’abord été occupée entre le 2ème  et le 9ème siècle par des populations pré-dogon auxquelles peuvent être attribués certains décors céramiques aujourd’hui disparu.

Entre le 9ème et le 15ème siècle, la plaine du Séno-Gondo a été concernée par au moins quatre vagues de migration successives. La première est probablement venue de l’empire du Ghana, après que celui-ci ait atteint son apogée. La seconde semble provenir de l’empire du Mali, après le pèlerinage de Kankou Moussa à la Mecque. La troisième a probablement résulté du repli depuis le nord du pays Dogon de populations fuyant l’empire songhay. La quatrième vague est venue du pays Mossi, suite à la pression qu’exerçaient les Naaba mossi.

À partir du 16ème siècle et jusqu’au 19ème siècle, beaucoup de conquérants ont puisé leurs esclaves dans la plaine du Séno-Gondo. C’est le cas des conquérants Touareg, Mossi, Bambara de Ségou et Peul du Macina. La plaine du Séno-Gondo semble avoir été presque abandonnée à cette période.

Entre le 19ème et le 20ème siècle, la plaine du Séno-Gondo a connu un contexte plus sûr et les habitants ont commencé à rejoindre des emplacements anciennement occupés dans la plaine. Cependant, cette dynamique de retour a été freinée par la colonisation française. Cette nouvelle conquête reste un souvenir douloureux pour une bonne partie de la population de la région qui a vu partir les bras valides, réquisitionnés pour le front ou enrôlés de force pour de grands chantiers de travail. À la fin de cette période, la stabilité est revenue et la population de la plaine a pratiquement doublé.

L’analyse combinée des données issues des enquêtes ethnohistoriques et des fouilles archéologiques s’avère donc pertinente pour ce type de recherche. Nous pouvons affirmer que le peuplement de la plaine est le résultat de multiples épisodes d’occupations par des populations d’origines différentes.

Nema Guindo