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Etudier le présent pour comprendre le passé : les traditions céramiques du Mali

Le contexte ethnohistorique

Jarre à eau de la tradition Dogon A (femmes d'agriculteurs). Photo J.-G. Elia

Jarre à eau de la tradition Dogon A (femmes d’agriculteurs). Photo J.-G. Elia

Aujourd’hui, la Boucle du Niger est habitée par de nombreux groupes ethniques aux modes de vie complémentaires, privilégiant la pêche, l’élevage ou l’agriculture. Originaires de diverses régions, leurs langues appartiennent à différentes familles linguistiques : famille Niger-Congo (sous-familles Mandé, Gur, Dogon et Ouest-atlantique), Nilo-saharienne (Songhay) et Afro-asiatique (Touareg, Arabe).

Les identités, reconnues sur la base des langues, des patronymes, des spécialisations économiques ou des maîtrises sur l’eau, la terre ou l’herbe, évoluent constamment dans le temps. La diversité actuelle résulte d’une histoire complexe de migrations, d’alliances, d’assujettissements, de différenciations sociales et de spécialisations. La mise en place de ces populations s’est principalement faite au cours des deux ou trois derniers millénaires. Même si la géographie humaine actuelle est bien différente de celle d’il y a deux mille ans, les racines des groupes que l’on rencontre aujourd’hui plongent dans un passé lointain, et certains savoirs locaux ont pu se transmettre au-delà des aléas particuliers de l’histoire.

Aujourd’hui, les sociétés sont stratifiées et comprennent les producteurs vivriers nobles (agriculteurs, éleveurs), les castes artisanales endogames (forgerons, tisserands, boisseliers, bijoutiers, griots) et les anciens esclaves. La production céramique est une activité pratiquée par des femmes appartenant aux castes d’artisans. Elles sont souvent femmes de forgerons, mais chez les Peul elles sont aussi femmes de tisserands, de boisseliers ou de cordonniers. Chez les Dogon, cet artisanat peut être assuré par des femmes d’agriculteurs.

Quatre régularités fondamentales

Plusieurs « régularités » identifiées dans le présent permettent de sélectionner les critères descriptifs des céramiques pertinents pour l’interprétation des vestiges archéologiques :

  • – Il existe des « traditions » céramiques, définies par des techniques de façonnage et des propriétés esthétiques, qui reflètent l’identité des producteurs : la façon de construire l’ébauche du récipient et les décors d’impressions roulées sont de bons indicateurs des entités ethnolinguistiques.
  • – L’assemblage des récipients d’une unité d’habitation reflète l’identité des habitants : ceci se vérifie statistiquement malgré un mélange des traditions céramiques au niveau de la consommation dans les régions où l’offre sur les marchés est diversifiée.
  • – Les dimensions des récipients reflètent leur fonction : la hauteur, le diamètre maximum et le diamètre à l’ouverture, conjugués à des indices de proportion et à des traces d’utilisation, permettent de caractériser la fonction d’une poterie.
  • – La répartition spatiale d’une tradition céramique reflète la structure du peuplement du groupe producteur : la zone de production correspond au réseau matrimonial des potières, donc au territoire occupé par leur ethnie. La zone de consommation peut en revanche s’étendre au-delà des limites du groupe, par diffusion lors de la vente.
Jarre pour le transport de l'eau, tradition Dogon C (femmes de forgerons). Photographie J.-G. Elia.

Jarre pour le transport de l’eau, tradition Dogon C (femmes de forgerons). Photo J.-G. Elia

Un modèle d’histoire des techniques et des peuplements

Savoir si la variabilité de la culture matérielle reflète des frontières culturelles passées nécessite l’intégration de données issues de trois domaines distincts : l’ethnoarchéologie, l’ethnohistoire et l’archéologie. Cette démarche a permis de reconstruire une histoire culturelle des traditions céramiques dans la Boucle du Niger.

Avant le 15ème siècle, les répartitions spatiales des caractéristiques céramiques forment des groupes qui se superposent et qu’il est possible d’associer aux familles linguistiques Mandé, Gur et Songhay. Quelques caractéristiques présentes un peu partout doivent plutôt être comprises comme la persistance d’éléments du substrat néolithique plus ancien.

La charnière des 13ème-15ème siècles est marquée par de nombreux mouvements de populations. Dès cette époque, nous pouvons raccorder les changements principaux concernant les traditions céramiques avec la dynamique du peuplement des groupes actuels. Par exemple, il est possible de reconnaître la persistance des traditions associées aux populations dites autochtones bwa et bozo-somono, de retracer la progression des Songhay remontant le long du fleuve Niger jusqu’au lac Débo, la colonisation agricole des Bambara le long du Bani puis du Niger, ou l’installation des Dogon à la falaise de Bandiagara.

Enfin, l’évolution des traditions céramiques semble peu influencée par l’introduction du système des castes, probablement dans le contexte de l’empire du Mali, et par l’autorité des pouvoirs étatiques successifs, à l’exception du royaume mossi du Yatenga. Les changements paraissent plutôt liés aux migrations, qu’elles soient d’origine climatique, économique, politique ou religieuse.

Anne Mayor