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Etude ethnologique du tissage en Pays dogon

Fig. 1 Le village de Yawa sur la falaise de Bandiagara. Photographie H. Mezger.

Fig. 1 Le village de Yawa sur la falaise de Bandiagara. Photo H. Mezger

En 2007 et 2008, deux missions d’une durée totale de sept semaines ont été menées sur le tissage en Pays dogon. Ces recherches ont fait l’objet d’un mémoire de maîtrise en Ethnologie à l’Université de Cologne sous la direction de Klaus Schneider (Rautenstrauch-Joest-Museum, Musée d’Ethnologie, Cologne) et de Michael Bollig (Université de Cologne).

Objectifs

Les missions de terrain avaient pour but d’évaluer si l’étude ethnologique du tissage en pays dogon constitue une source pour une meilleure compréhension de l’histoire des Dogon. L’objectif précis était d’étudier les techniques, la linguistique, ainsi que l’histoire et les mythes s’y référant dans différentes régions dogon. Les analyses ont été motivées par cette question : peut-on identifier, comme dans le domaine de la poterie et de la métallurgie de fer, différentes traditions de tissage ?

Fig. 2 Boureima Sagara tissant une laize écrue sans motifs. Photographie H. Mezger.

Fig. 2 Boureima Sagara tissant une laize écrue sans motifs. Photo H. Mezger

Localités de recherche

Les études ont été réalisées dans des régions différentes du Pays dogon, contrastées tant d’un point de vue géographique que linguistique. Elles se sont déroulées à :

– Logo, village de la plaine du Seno (langue Tomo kan)
– Tourou, village de la plaine du Séno (langue Tengu kan)
– Yawa (fig. 1), village de la falaise de Bandiagara (langue Tengu kan)
– Koundougou, village du plateau de Bandiagara (langue Dogo dum)
– Tangadouba et Pigna, villages du plateau de Bandiagara (région du Pignari, langue Mombo)

Parallèlement aux études menées auprès des Dogon, des enquêtes ont été effectuées avec des tisserands attachés aux Peul et un tisserand bamana dans la ville de Ségou.

Fig. 3 Métier à tisser avec des fils de chaînes teints à l'indigo à Logo. Photographie H. Mezger

Fig. 3 Métier à tisser avec des fils de chaînes teints à l’indigo à Logo. Photo H. Mezger

Méthodes

Les méthodes employées ont été l’observation participante, l’interview semi-directif, la conversation informelle ainsi que la photographie comme un moyen de communication pour préciser les informations des traditions locales et des anciennes techniques.

Le tissage dans le contexte de la fabrication des textiles en pays dogon

Les différentes étapes du procédé de fabrication sont bien définies et réparties entre les femmes et les hommes. Avec les revenus tirés de la culture de leurs propres champs, les femmes achètent le coton ainsi que d’autres matériaux bruts, qui sont ensuite filés manuellement. Elles donnent ensuite les fils aux tisserands, qui sont toujours des hommes. Les hommes tissent les laizes en fonction des commandes des femmes et sont rémunérés par ces dernières. Les femmes décident si elles donnent ensuite les laizes à coudre, à teindre ou si elles les vendent directement aux commerçants.
Contrairement aux teinturières ou aux forgerons du pays dogon, les tisserands ne forment pas un groupe artisanal endogame. Ils sont également agriculteurs et ne tissent que pendant la saison sèche pour avoir une source de revenu additionnelle.

Fig. 4 Femmes de Logo présentant des pagnes décorés de rayures par chaîne. Photographie H. Mezger

Fig. 4 Femmes de Logo présentant des pagnes décorés de rayures par chaîne. Photo H. Mezger

Résultats

L’état actuel des recherches permet d’identifier trois traditions de tissage, principalement à partir des différentes laizes fabriquées traditionnellement et actuellement.

La première tradition identifiée se situe dans la falaise, dans le village de Yawa, ainsi que sur le plateau, dans le village de Koundougou. Elle est caractérisée par la production de laizes écrues en coton sans motifs (fig. 2).

La deuxième tradition identifiée est présente dans la plaine du Séno, dans le village de Logo. Elle se distingue par le tissage de laizes décorées de rayures par chaîne (fig. 3). Ces rayures sont réalisées grâce aux fils de chaîne en coton écru ou teints à l’indigo, en soie ou en fibres extraites des fruits du fromager. Ces laizes sont uniquement utilisées pour la production de pagnes féminins (fig. 4). Chaque motif a une signification ou un message particulier.

Fig. 5 Laize avec des motifs lancés, tissée à Pigna pour la production de couvertures oldebe. Photographie H. Mezger

Fig. 5 Laize avec des motifs lancés, tissée à Pigna pour la production de couvertures oldebe. Photographie H. Mezger

La troisième tradition a été trouvée dans la région du Pignari, dans les villages de Tangadouba et de Pigna. Elle se caractérise par la production de laizes avec des motifs obtenus au moyen de trames supplémentaires lancées bleues, teintes à l’indigo, sur fond écru (fig. 5). Ces laizes sont utilisées pour la confection de couvertures oldebe, utilisées dans de nombreux villages dogon dans le cadre des cérémonies funéraires traditionnelles. Ces couvertures appartiennent à une ancienne tradition. Dans les grottes de la falaise de Bandiagara, plusieurs couvertures anciennes, comprenant des motifs en forme de losange ou de sablier séparés par des bâtons verticaux, ont d’ailleurs déjà été étudiées ; elles ont notamment été publiées par R. Bolland en 1991. Les plus vieilles sont datées entre le 11ème et le 12ème siècle.

Fig. 6 Boureima Poudiougo tissant à Tourou. Photographie H. Mezger

Fig. 6 Boureima Poudiougo tissant à Tourou. Photo H. Mezger

Le métier à tisser employé dans toutes les zones de recherche est un type courant en Afrique de l’Ouest. Il consiste en une chaîne mobile à deux lisses actionnées par des pédales. Nous ne pouvons pas encore déterminer si les deux variantes utilisées de ce type de métier sont en corrélation avec les types de laizes tissées. Elles pourraient aussi résulter d’une adaptation locale aux différents environnements : les modèles avec fosse pour les pieds du tisserand sont utilisés dans la plaine, où il est facile de creuser un trou dans le sol sableux (fig. 6). Les métiers sans fosse se trouvent en revanche sur la falaise et sur le plateau, où le sol rocheux ne permet pas l’aménagement de fosses (fig. 7).

Fig. 7 Ousmane Sagara tissant à Yawa. Photographie H. Mezger

Fig. 7 Ousmane Sagara tissant à Yawa. Photo H. Mezger

Conclusion

En l’état actuel des connaissances, trois traditions de tissage ont été identifiées. Les analyses des termes vernaculaires et des traditions orales permettent d’émettre des hypothèses sur l’origine du tissage chez les Dogon. Les termes pour le fil de chaîne, le fil de trame et la lisse sont très similaires dans les langues dogon (Tomo kan, Tengu kan et Dogo dum), bamana et fulfulde (fig. 8). Ils confirment les données linguistiques présentées par Boser-Sarivaxévanis et sa thèse que les Dogon ont adopté le tissage auprès des Peul ou des Manding à une date tardive (Bolland 1991 : p. 46-47). Selon la tradition orale au village de Logo, les Dogon ont en effet appris volontairement le tissage auprès des Maabuubé (tisserands attachés aux Peul).

Fig. 8 Termes vernaculaires du tissage dans les langues Dogon (Tomo kan, Tengu kan, Dogo dum), bamana et fulfulde.

Fig. 8 Termes vernaculaires du tissage dans les langues Dogon (Tomo kan, Tengu kan, Dogo dum), bamana et fulfulde.

L’étude ethnologique menée dans une perspective comparative et historique du métier du tissage constitue donc une source utile pour une meilleure compréhension de l’histoire des Dogon. Il apparaît en outre intéressant de faire le lien avec les études sur les tissus anciens de la falaise de Bandiagara (11ème-18ème siècle), qui constituent également une source importante d’informations concernant l’histoire des textiles et du tissage en Pays dogon.

Heidrun Mezger