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Présentation géomorphologique de la « falaise » de Bandiagara

 La « falaise » de Bandiagara au droit de Yawa, prise vers le sud est en direction de Guimini (à droite la colline de Songona). Photo M. Rasse

La « falaise » de Bandiagara au droit de Yawa, prise vers le sud est en direction de Guimini (à droite la colline de Songona). Photo M. Rasse

La «falaise » de Bandiagara constitue la limite orientale du plateau dogon, plateau structural développé dans les grès conglomératiques du Précambrien reposant en discordance sur le socle birrimien. Cet escarpement, de direction assez régulière N 45°, se suit sur près de trois degrés de latitude, de Koutiala aux impressionnantes buttes de la Gandamia (1080m) et de Hombori (1155m) au nord de Douentza. Il constitue l’un des reliefs majeurs de l’Afrique occidentale qui, par son orientation sud-est, reçoit de plein fouet les vents dominants de saisons et de périodes sèches. On comprend ainsi les accumulations éoliennes, fixées ou remobilisées récemment, que l’on retrouve recouvrant, partiellement ou totalement, l’important talus d’éboulis sur lequel se sont implantés les « villages de falaise ».

Les altitudes du plateau croissant vers le nord-est pour des raisons structurales, la dénivellation de l’escarpement est également, en moyenne, de plus en plus importante. Toutefois les conditions locales de recouvrement éolien et d’incision des vallées de piémont perturbent cet agencement. Ainsi, en différents secteurs moins soumis à l’érosion régressive, la dénivellation est réduite quasiment de moitié. Il en est ainsi dans le secteur de Guimini-Yawa-Nombori étudié depuis 2006. Au pied de la « falaise », les altitudes du Séno sont ici supérieures à 400 m, constituant la partie la plus élevée de la plaine et l’un des endroits où la dénivellation du talus gréseux est la moins marquée.

Coupe d’ensemble de la « falaise » au niveau de Yawa. Dessin M. Rasse

Coupe d’ensemble de la « falaise » au niveau de Yawa. Dessin M. Rasse

C’est cette situation géomorphologique, d’extrême amont encore préservé de l’érosion régressive, qui explique à la fois la conservation de formations « anciennes » et leur démantèlement actuel. En effet, le matériel sédimentaire, constitué essentiellement de sables fins, est soumis à des conditions climatiques sahéliennes, c’est-à-dire à la fois aux chasses brutales des eaux concentrées sur le plateau pendant la saison des pluies et à la déflation par les vents canalisés par le talus et les vallées de piémont pendant la saison sèche. On doit donc à ces conditions la découverte des niveaux archéologiques et le dégagement de coupes stratigraphiques significatives de l’évolution géomorphologique du Pléistocène supérieur et de l’Holocène.

Les vallées de piémont

L’image un peu simple d’un dégagement récent des sables déposés au pied de l’escarpement durant la dernière phase aride –« l’Ogolien » des auteurs (Elouard, 1959) à nuancer quelque peu. D’une part, les premières estimations chronologiques montrent bien que la majeure partie des sédiments s’est accumulée durant le Pléistocène supérieur (au moins 80-30 ka), et ne se cantonnent pas à la phase aride (20-15 ka). D’autre part, les vallées de piémont doivent davantage leur allure à la faiblesse des précipitations et des écoulements qu’à leur relative « jeunesse ». Le dégagement du talus d’éboulis par érosion différentielle des formations quaternaires est manifeste, et c’est d’ailleurs cette situation qui explique l’affleurement actuel des divers dépôts, mais il n’est pas à mettre sur le compte de la seule période holocène.

Ainsi, durant le Pléistocène supérieur, ces vallées de piémont ont connu différentes phases d’encaissement et de remblaiement et il est fort probable que cette allure « embryonnaire » ait été une caractéristique constante, essentiellement d’ailleurs parce que le niveau de base régional restait à peu près identique. Seules sans doute les périodes les plus humides ont été favorables à un écoulement quasi permanent et continu jusqu’au Sourou –qui se dirige vers la Volta- et, de fait, à une incision au moins relative, alors que durant les phases les plus sèches, une grande mise en charge des écoulements permettait l’accumulation de formations successives.

 Cinq formations principales pléistocènes ont été définies dans les collines de Songona. Dessin M. Rasse

Cinq formations principales pléistocènes ont été définies dans les collines de Songona. Dessin M. Rasse

– La formation F1, la plus ancienne (a priori antérieure à 60ka) n’est représentée que dans une seule coupe, celle de la butte coiffée de blocs de grès de Songona, sapée par l’un des méandres du chenal. Sur plus de 2m d’épaisseur, un matériel à forte composante sableuse, à sables assez hétérométriques et à gravillons épars ou disposés en lits bien définis, pourrait représenter la reprise par des écoulements fluviatiles d’une arène gréseuse. L’évolution pédologique subie postérieurement a transformé ce dépôt en masse compacte, très indurée et difficile à échantillonner. Dans la partie profonde, ce matériel est versicolore, à taches allant du blanc à l’ocre brun assez foncé, et contient de nombreuses pisolithes ferrugineuses plus ou moins concentrées. Dans la partie supérieure, la couleur devient plus uniformément rouge lie-de-vin. Ce matériel repose fort probablement sur le substratum gréseux, sans doute à la base du talus d’éboulis, et l’on ne doit sa conversation qu’à sa résistance relative et à celle de la jonchée de blocs injectée lors d’un effondrement en masse d’une portion de la « falaise » dans les formations sableuses du dessus.

– Après une phase d’érosion se traduisant par une discordance, les formations F2 et F3 se mettent en place. Ces unités sont constituées de sables homométriques et l’épaisseur est d’au moins 35m. Les premières dates disponibles ciblent l’intervalle chronologique 60-40 ka pour le dépôt de cette impressionnante masse de sable. Dans l’état actuel de nos observations, tout concourt à faire de cette formation un dépôt à forte composante éolienne – ne serait-ce que par leur homométrie- mais plus ou moins remaniée par les eaux. En effet, les sables blancs de la base présentent un litage caractéristique soit d’écoulements laminaires, soit de décantation dans des étendues d’eaux calmes. Certaines passées présentent également des discordances angulaires imputables à des écoulements changeants (dans la partie centrale de F2), mais une part sans doute non négligeable du matériel se présente sous la caractéristique de sables boulants homométriques, lesquels ne donnent finalement aucune information concrète sur leur mode de dépôt. C’est dans ce matériel F2 et F3 que se dessine l’interfluve de Songona 1 et c’est au sommet de ce matériel que se trouvent les niveaux archéologiques fouillés depuis 2007.

-Après une nouvelle phase d’incision, les formations F4 et F5 se déposent dans une continuité sédimentaire indéniable. Ces unités traduisent une forte alimentation hydrologique, issue principalement du vallon suspendu de Yawa, en « cône de déjection » s’inscrivant à la base de l’éboulis et de la falaise. F4 est une unité épaisse de plus de 10 m de sables moyens à grossiers, entrecoupés de passées plus grossières, à galets et pour certaines à blocs de grès, consolidées en conglomérats à forte teneur en fer qui se traduisent par des petits replats sur la pente de l’interfluve. F5 est beaucoup plus homogène, épaisse de plus de 20 mètres, constituée de sables généralement moyens, à très fins litages traduisant un mode de dépôt très rythmé, indiscutablement saisonnier pour certains ensembles. Ces deux formations sont de couleurs assez variées, oscillant entre un ocre jaune assez discret et un ocre rouge prononcé.

Les études en cours doivent permettre de préciser la datation des formations par la méthode OSL et faciliter la comparaison avec le site d’Ounjougou désormais bien connu. De nouvelles prospections dans la région de Goundaka et de la basse vallée du Yamé permettront aussi de comparer les données de sites ponctuels et de souligner les tendances paléoclimatiques d’échelle continentale.

Un paysage rural sahélien qui ne laisse personne indifférent : le vallon suspendu de Yawa (au loin le Séno). Photo M. Rasse

Un paysage rural sahélien qui ne laisse personne indifférent : le vallon suspendu de Yawa (au loin le Séno). Photo M. Rasse

Les vallons suspendus de Yawa

Le secteur de Yawa est doublement intéressant. Non seulement le pied de falaise est extrêmement riche, mais sur le plateau même, coincées dans les étroits vallons développés le long des diaclases N 20-25° et secondairement N 35°, sont également préservées des formations riches d’enseignements.

Ces dernières permettent le maintien et la restitution quasi permanente de l’eau de nappes phréatiques qui se trouvent finalement «suspendues» (compte tenu de la topographie, mais aussi par rapport à la nappe profonde des grès). Leur hydrologie est fortement tributaire du passé latéritique tertiaire du plateau qui, en colmatant les nombreuses pertes karstiques développées dans les grès, a rendu davantage imperméable le substratum. Ces nappes secondaires expliquent en réalité la dynamique rurale actuelle des villages qui développent, parfois à outrance compte tenu des réserves potentielles, des cultures d’arrière-saison très demandeuses en eau (oignons, mais aussi légumes divers), lesquelles contribuent néanmoins tant à la richesse paysagère de ces vallons.

Encaissés d’une quarantaine de mètres à l’arrière immédiat de l’escarpement, ces vallons se sont remblayés de sables durant les phases les plus propices. Ces sables se sont déposés sous le vent au pied des versants orientés à l’ouest et au vent au pied des versants qui leur font face. Puis ces sables ont été manifestement remaniés par les eaux de surface jusqu’à, pour certains vallons comme celui de Begnemato plus au sud, aboutir à un vaste plan quasiment horizontal. Toutefois à Yawa, plusieurs phases de remobilisation, par les eaux ou par les vents, et différentes phases de pédogenèse ont contribué à rendre difficile la lecture stratigraphique du système que seule l’incision actuelle des cours d’eau permet d’appréhender.

Michel Rasse